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Aventurière du temps perdu

Crédits à la une. Copyright Pixabay 2106 https://pixabay.com/fr/voyage-entreprise-aventure-rubrique-252945/

Crédits à la une. Copyright Pixabay 2106 https://pixabay.com/fr/voyage-entreprise-aventure-rubrique-252945/

Travailler à temps plein et mener en parallèle un master d’histoire demande d’avoir des nerfs solides. A la semaine de travail à la bibliothèque universitaire centrale s’ajoutent quatre heures de cours qu’il faut suivre en présentiel et les séminaires. Il  reste le soir, le weekend et les vacances pour travailler. Il faut alors s’organiser pour appréhender les archives et élaborer les outils pour traiter un grand volume d’informations.

Paradoxalement, j’arrive à grappiller du temps en attrapant au vol des secondes inattendues. Il est possible de lire dans un bus et même d’y prendre des notes ! Un trajet en métro est l’occasion de parcourir un chapitre ou un article. Le moindre déplacement peut être mis à profit.

Dompter le temps

Livre et notes Stengers. Stéphanie Delmotte Tous droits réservés

Livre de Stengers et notes. Stéphanie Delmotte Tous droits réservés

Je suis capable de prendre des notes presque dans n’importe quelle situation. J’utilise des feuilles issues de le récupération d’impressions inutiles, que je coupe en deux au format demi A4 . J’emploie aussi des fiches de bloc-notes. Elles sont intercalées dans les livres que je parcours au fur et à mesure. Je mets à profit les déplacements quels qu’ils soient : avion, train, métro, bus … Ensuite, je reprends les données saisies pour les intégrer dans une base de données ou des fiches thématiques.

Je travaille dans les centres d’archives où j’accumule les sources. J’y travaille avec ma sœur qui est la mémoire de la famille ; elle a des souvenirs personnels de l’entreprise Planco et de son fondateur Fernand Delmotte. Elle peut confronter ses souvenirs avec les faits que nous découvrons toutes les deux dans les archives. Ensuite chez moi, je dois reprendre les fichiers numérisés et les nommer puis les placer dans ma base de données documentaire. Je reprends aussi les numéros de fichiers sur des listes en notant leur contenu au fur et à mesure du dépouillement.

Base documentaire de scans et photos. Stéphanie Delmotte tous droits réservés

Base documentaire de scans et photos. Stéphanie Delmotte tous droits réservés

Je réalise ma recherche avec plusieurs types de supports. Je prépare mes séjours aux archives avec des listes de documents à scanner et des références des publications officielles. Je complète ensuite ces listes manuellement pour vérifier ce qui est déjà archivé et ce qui doit encore l’être. Je reprends ensuite les informations dans des bases de données différentes selon leur typologie. Les données chiffrées liées aux bilans comptables ou aux produits commercialisés sont traitées dans des tableurs. Les autres informations vont constituer une base de données reliées entre elles pour faciliter leur traitement ultérieur.

Plongée dans les archives

Je parle de mes recherches avec les personnes de ma famille qui veulent, elles aussi, en savoir plus sur cette histoire. J’échange avec des doctorants, en histoire ou dans d’autres disciplines. Je peux aussi compter sur mes amis qui me donnent un avis constructif sur la rédaction en cours.

Les réactions de mes interlocuteurs sont souvent assez violentes. C’est là que l’on comprend que ce sujet est sensible et que l’histoire d’un colon au Congo belge suscite toujours des positions très tranchées, pour ou contre. Selon la personne en face de moi, j’ai le reproche d’être trop pour la colonisation ou bien trop contre. Je ne suis pas pour la colonisation. L’intérêt de ce travail d’histoire était de viser une certaine objectivité. Mais la recherche scientifique est toujours ancrée dans une époque et sa façon de penser, comme le souligne Thomas Kuhn dans La structure des révolutions scientifiques. Est-il possible de relater des faits sans prendre position et sans poser des jugements sans appel ? Peut-on parler du Congo belge sans être en butte aux poncifs qui circulent sur le sujet ? Peut-on dépasser le mythe des “mains coupées” et sortir des idées éculées sur l’État indépendant du Congo véhiculées par l’empire anglais et relayées souvent sans nuances par certains historiens ? Peut-on traiter la période de la colonie sans ces amalgames ? Peut-on parler de gens simples qui avaient une entreprise, sans les confondre avec des esclavagistes et des fonctionnaires corrompus ou des actionnaires privés qui se sont enrichis sur la misère des populations ? Ces questions sont pour le moment sans réponse…

Mayumbe, 1910, Congolais avec pipe, Archives familiales. Tous droits réservés Stéphanie Delmotte

Mayumbe, 1910, Congolais avec pipe, Archives familiales. Tous droits réservés Stéphanie Delmotte

Je suis complètement plongée dans l’histoire de mon grand-père car j’ai la chance de pouvoir lire ses centaines de lettres, qui donnent une foule de détails sur la vie de l’époque. Je suis toute son aventure, pas à pas. Sa vie est peu ordinaire. Il était bien de son époque mais il semble impossible de faire voir qu’il n’était pas un monstre pour autant. Moi-même j’ai effectué ce cheminement du rejet théorique de la colonisation à une approche contrastée des personnes resituées dans leur contexte. Le temps n’est peut-être pas encore venu de faire entendre une histoire pétrie de paradoxes ni d’exposer des faits nuancés.

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
delmotte (28 janvier 2017). Aventurière du temps perdu. Master Histoire, civilisations et patrimoine. Consulté le 25 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pgej


delmotte

Doctorat en sciences de l'information et de la communication 2007 Expert en métadonnées Édition numérique en sciences humaines et sociales Histoire moderne et contemporaine née au Congo Belge

5 réponses

  1. Forget Barthélemy dit :

    Bonjour, je recherche des informations sur l’activité de mon grand père paternel Nestor (Ernest) Forget. Il aurait travailler dans cette société à Mahagi : mon père Jean est né à Ogondjo en juin 1931. Auriez-vous des traces de cette famille ? Je vous remercie d’avance

    • Delmotte dit :

      bonjour
      oui j’ai des informations. Je suis en train de rédiger un mémoire de master 2 en histoire contemporaine à l’université Toulouse II Jean Jaurès, sur la Planco, en dépouillant les archives. Forget a bien été employé de 1929 à 1935 à la Planco, société dont il a aussi été actionnaire. Il est question de ce fils dans un courrier où Fernand Delmotte dit qu’il s’occupe surtout de son gosse et l’emmène partout… Dans les archives on dit qu’il a travaillé aussi aux Mines de Kilo-Moto avant ce contrat. Il était à la Planco comptable et s’occupait du commerce sur lequel il avait un pourcentage. Le contrat a pris fin après des conflits, suite à des travaux de comptabilité non exécutés : de nombreuses créances pour plusieurs dizaines de milliers de francs n’ont pas été réclamées et ont entraîné un passif pour la Planco, en plus au début de l’entreprise et avec la crise des années 1930, la situation était difficile pour tout le monde. Fernand Delmotte a essayé d’obtenir de Forget que le retard et les démarches soient effectuées, sans succès semble-t-il. Il a dû ensuite reprendre toute la comptabilité, revoir tous les créanciers, tout vérifier et réclamer les sommes dues. La relation entre Fernand Delmotte et Ernest Forget a tourné à l’affrontement. Il y avait probablement de grandes difficultés de communication entre les deux hommes. Forget a ensuite envoyé des dizaines de courriers de récrimination pendant des années au président du conseil d’administration, Firmin Gualbert à Tournai (qui s’est toujours montré très courtois), où il attaquait violemment Fernand. Son décès fin 1945 est mentionné dans les archives. C’est une triste histoire : à tous points de vue, pour tout le monde. Il y a un billet de blog personnel écrit il y a longtemps sur la Planco : https://infopourhistoriensblog.wordpress.com/ et que je n’ai pas alimenté depuis. Le mémoire de M1 est sur le site de l’université mais pas en accès libre. Je peux vous le faire parvenir par mail si vous le souhaitez, en attendant le M2

  2. Delmotte Philippe dit :

    Les européens (belges entre autres ) ont des idées préconçues sur les colons et les belges vivant en Afrique ! En 2018 .. c’est désolant de se rendre compte l’état d’esprit “grand public ” , reste immobilisé dans “” les vieilles fausses idées “”du 20ème siècle ! C’est de l’immobolisme ! Quand les discussions se lancent sur le sujet … ça devient vite des “âneries ” (je ne mâche pas mes mots ! ) ! A ce moment là , je pose cette question : savez vous combien de familles de congolais ma famille , nous les colons ,… faisions vivre ? Quand je donne le chiffre de 60 Familles ( minimum à mon avis avec le café , les plantations , la pêcherie … ) ça refroidit immédiatement la discussion ! Je compare aussi à un patron européen , avec ses ouvriers … la discussion devient glaciale ! N’oublions pas que les colons payaient leurs impots comme tout belge … et que , à l’indépendance … qu’ont obtenu les “colons contribuables “” de l’état belge , en ayant TOUT perdu …. et bien …. RIEN du tout ! Merci la mére patrie ! Vraiment une honte !

    • delmotte dit :

      Sans compter que la famille Delmotte, via la société Planco qu’elle avait créée et dont elle a ensuite été dépossédée par les “belgicains”, les Belges de Belgique voulant leurs dividendes, a formé des dizaines de Congolais. Fernand Delmotte avait créé une école pour “ses enfants” – ce dont personne ne l’obligeait. Il a formé des dizaines d’ouvriers, de secrétaires, d’artisans, il a apporté connaissances et éducation. Et respect pour ses travailleurs, qui ont ensuite sauvé son fils Pierre des exactions de certains au moment de l’indépendance. Fernand Delmotte l’a payé cher. Il ne s’est pas enrichi et sa famille non plus – au contraire : il a été exploité, mal payé et mal traité. Et il a été coupé de sa famille restée en Belgique à cause des obligations que lui imposait la société. Les personnes de la société ont fait circuler sur son compte des informations fausses et l’ont fait passer pour un monstre car il n’était pas assez “obéissant” pour le conseil d’administration. Il était une forte tête plein d’idéalisme et d’humanisme. C’est intéressant de faire connaître les archives très riches de la Planco : cela permet de montrer la vie de l’époque avec une foule d’informations très diverses et de montrer la complexité des situations en contexte de colonisation… C’est loin d’être simpliste !

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